Débat sur le thème : « Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes ? »
M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2018 éclatait le scandale des CumEx Files, révélé par un consortium international de journalistes lanceurs d'alerte. Comme cela a été dit, cette technique d'évasion fiscale frauduleuse consiste, pour les détenteurs d'actions, à détourner la fiscalité sur leurs dividendes.
Dans le cas des CumEx, ils procèdent à l'échange d'actions, avec des banques complices, avant la date du versement des dividendes, rendant la tâche d'identifier le propriétaire des actions redevable de la taxe difficile, voire impossible pour le fisc ; il est même arrivé que le Trésor public rembourse des trop-perçus imaginaires…
La pratique des CumCum s'appuie, quant à elle, sur les différences de fiscalité entre pays. Des banques européennes ont ainsi aidé leurs clients à échapper à cette taxe sur les dividendes, avec une perte évaluée, en 2018, à 55 milliards d'euros, pour onze États européens.
De nouveaux calculs estiment plutôt à 140 milliards d'euros le montant de ce braquage fiscal à l'échelle mondiale, dont 33 milliards d'euros envolés pour le fisc français sur les vingt dernières années.
En France, il y a un mois, le parquet national financier a conduit la plus vaste opération jamais menée, perquisitionnant cinq banques soupçonnées de blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée, pour complicité d'évasion fiscale visant à échapper à la taxe sur les dividendes sur leurs actions placées dans des entreprises françaises.
Pour mener cette opération, le PNF a mobilisé 16 de ses 19 magistrats, 150 enquêteurs sur les 250 que compte le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF) de Bercy et a été aidé par six procureurs allemands.
En concluant un accord avec le fisc et en s'acquittant de 35 millions d'euros d'arriérés d'impôts et d'amende, une seule banque a reconnu et accepté un redressement fiscal, échappant ainsi à des perquisitions et des poursuites pénales.
Les autres encourent 1 milliard d'euros de redressement fiscal, assortis d'amendes pénales pouvant aller jusqu'à 50 % de l'impôt dû.
Le groupe CRCE, que je remercie pour l'inscription de ce débat à l'ordre du jour, nous donne l'occasion de rappeler qu'un amendement du Sénat avait été rejeté en 2018 par l'Assemblée nationale et que les recommandations de la mission d'information du Sénat, publiées en 2022, n'ont pas non plus été entendues, malgré des pistes pertinentes comme la production de données sur la fraude fiscale pour le budget de 2024, le doublement du nombre d'officiers fiscaux judiciaires – qui sont 40 aujourd'hui –, la révision des « conventions fiscales internationales prévoyant un taux de retenue à la source nul sur les dividendes », etc.
Monsieur le ministre, vous avez mis en place un groupe de travail, dont je suis membre, pour préparer un plan de lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale qui rendra ses conclusions très prochainement. Je ne doute pas que vous tiendrez compte de notre débat.
Renforcer l'arsenal de l'État, y compris en passant par la loi, est essentiel pour combattre les nouvelles formes de fraude fiscale, avec de nouveaux outils. Il faut aussi des mots justes, et vous les avez employés, monsieur le ministre : ces pratiques sont frauduleuses et la haute finance joue sur la frontière étroite entre optimisation fiscale légale et évasion fiscale frauduleuse. Il ne peut y avoir de double langage face à une fraude qui prive l'État des moyens d'agir pour l'intérêt général.
Les progrès du datamining et des algorithmes sont encourageants, mais le recrutement et la formation de personnes compétentes en nombre suffisant sont primordiaux. Investir des moyens de grande ampleur pour récupérer les milliards d'euros de l'évasion fiscale aux dividendes serait très utile, pour reprendre l'exemple avancé par notre collègue Bocquet, pour financer les retraites des Français, mais aussi pour redresser nos finances publiques à l'heure où la note de la France vient d'être abaissée par l'agence Fitch.
En matière de fraude fiscale, le filet antifraude doit être à la fois à fine maille et solide, non pas comme la toile d'araignée, qui, comme chacun le sait, capture les moucherons, mais laisse passer les bourdons. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Merci monsieur le sénateur pour votre intervention, qui me permet de rebondir sur deux points que vous avez évoqués : les révélations des papers – Panama Papers et Paradise Papers – et le plan de lutte contre les fraudes que je présenterai prochainement.
L'administration fiscale a beaucoup travaillé ces dernières années sur la base de ces fameux papers, révélés par des lanceurs d'alerte et des consortiums de journalistes. Je souhaite que la France produise ses propres papers, en se dotant d'outils permettant d'aller chercher l'information. Cela fait partie des dispositifs que j'annoncerai dans le cadre du plan de lutte contre la fraude fiscale.
Votre question me permet aussi de faire un point à date sur les papers.
Les Panama Papers, révélés par l'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) en avril 2016, ont conduit à un très gros travail de l'administration fiscale, avec la mobilisation de l'assistance internationale. À la suite des contrôles et des régularisations, nous avons identifié, au 30 septembre 2022, environ 200 dossiers concernant des résidents français, pour un montant récupéré de près de 180 millions d'euros.
S'agissant des Paradise Papers, révélés en 2017 et 2018, nous en sommes à 35 dossiers identifiés concernant des résidents français, pour un montant récupéré d'environ 12 millions d'euros et les travaux se poursuivent.
Vous le voyez : l'administration fiscale a engagé un gros travail à la suite de ces révélations.
L'un des enjeux du plan de lutte contre les fraudes que je présenterai est de nous doter d'outils qui nous permettent de récupérer l'information auprès de ceux qui contribuent à cette évasion fiscale par la dissimulation d'avoirs à l'étranger. Je ferai des annonces très concrètes en ce sens.
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