Proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques
M. Philippe Grosvalet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, elle s'appelle Talia. Elle est enceinte. Elle se rendra vendredi à son dix-septième entretien d'embauche.
Il s'appelle Sofiane. Il est étudiant ingénieur. Il se fait contrôler par la police en moyenne deux fois par semaine.
Ils s'appellent Ugo et Maxime. Ils sont homosexuels. Ils se sont fait refuser l'entrée d'un restaurant.
Le terrible paradoxe de ces situations, c'est qu'elles sont à la fois révoltantes, bien sûr – je crois que nous le pensons tous –, et beaucoup trop quotidiennes pour nombre de nos concitoyens.
L'Observatoire des inégalités publiait, à la fin du mois de novembre 2023, son rapport sur les discriminations en France. S'il y est fait état d'une tolérance plus répandue de nos concitoyens les uns envers les autres, la situation actuelle a pourtant de quoi nous inquiéter.
Le nombre de réclamations liées aux discriminations auprès de la Défenseure des droits est en hausse constante. Je ne reviens pas sur les chiffres ; du reste, ils ne disent pas tout ! C'est aussi la nature même de ces discriminations qu'il nous faudrait prendre en compte pour mieux en mesurer le poids sur nos concitoyens, le handicap, l'origine et l'état de santé restant les principales caractéristiques où elles viennent se nicher.
Du côté des pouvoirs publics, la discrimination n'est évidemment pas un sujet nouveau, mais, par manque de volonté réelle, les politiques de lutte contre celle-ci n'ont jamais donné de résultats satisfaisants.
Par exemple, en 2016, des tests de discrimination ont été réalisés, à la demande des pouvoirs publics, sur de grandes entreprises, mais sont restés sans suite. En 2017 a été établie une charte sur les discriminations à l'embauche entre le ministère du travail et les entreprises, qui ne débouche sur aucune initiative. En 2018-2019, sur l'initiative de chercheurs, des testings sont réalisés et transmis au ministère du travail, sans que, là encore, ils aient été suivis par aucune mobilisation réelle des pouvoirs publics.
Le groupe RDSE souhaite donc que le sujet de la lutte contre les discriminations soit traité avec beaucoup plus de détermination de la part du Gouvernement.
Tel qu'il ressort des travaux de la commission des lois, le texte nous semble très affaibli.
Cependant, la suppression de la mention des tests individuels à l'article 1er nous paraît plutôt bienvenue. Mettons-nous à la place des victimes ! Ne multiplions pas les interlocuteurs et gardons une voie de recours identifiée par tous. Je pense évidemment au rôle de la Défenseure des droits, à condition, madame la ministre, qu'elle en ait réellement les moyens et que nous puissions amplifier ces derniers, notamment sur les testings.
Pour ce qui concerne le versant méthodologique du texte, la suppression de l'article 2 visant à l'instauration d'un comité des parties prenantes ne permet plus l'intégration d'acteurs en lien direct avec les problématiques de discrimination, et fragilise la construction d'une action publique pertinente et efficace.
L'article 3 manque également à la version actuelle du texte. Il nous semble essentiel qu'un test qui révèle de potentielles pratiques discriminatoires soit suivi d'effets – mesures correctives, établissement d'un plan d'action au sein de l'entreprise, voire possibilité d'une amende, comme le prévoyait le texte transmis par l'Assemblée nationale.
Constater sans décider, prendre conscience sans réagir, ce n'est pas la conception que nous devons avoir de notre rôle, mes chers collègues !
Vous avez rappelé, madame la ministre, qu'aucune décision de justice n'a été rendue.
Les discriminations nourrissent le repli, le ressentiment et les sentiments d'injustice et d'inégalité.
Elles engendrent un coût économique, qui pèse souvent lourd pour des populations souvent déjà vulnérables. Elles entravent l'accès à l'ensemble des biens et services, y compris les services publics.
Elles ont également des conséquences sociales et psychologiques importantes, prolongent des situations de détresse et amènent au renfermement social.
Légiférer sur la lutte contre les discriminations est essentiel, mais ne portera des résultats probants que si la volonté du législateur est accompagnée de celle du Gouvernement pour tracer une politique publique claire et affirmée.
C'est pourquoi ce texte doit être une étape, un outil supplémentaire, qui doit s'inscrire dans une ambition plus globale, « une stratégie nationale cohérente […] de lutte contre les discriminations », que la Défenseure des droits appelle de ses vœux.
Un patchwork d'études statistiques apportera sans aucun doute des éclairages, mais ne constituera ni une réponse satisfaisante pour les victimes ni un outil complet pour prévenir et sensibiliser.
Les violences discriminantes que vivent nombre de nos concitoyens ne sont pas acceptables dans notre République.
Le groupe RDSE soutient évidemment toutes les mesures visant à lutter efficacement contre les discriminations. Cependant, en l'état, le texte, tel qu'il nous est présenté, ne nous semble pas apporter de solutions suffisantes.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe Grosvalet. Je conclurai par ces mots de Martin Luther King : « La moindre injustice, où qu'elle soit commise, menace l'édifice tout entier. » (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
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