Débat sur le thème : « L’État territorial, entre mirage et réalité »
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme j’ai déjà eu souvent l’occasion de le rappeler à cette tribune, dans une vie antérieure, j’ai été professeur d’histoire-géographie. Mais le sujet retenu pour le débat de ce jour – « L’État territorial, entre mirage et réalité » – me rappelle plutôt les bonnes heures de la terminale et les sujets du baccalauréat de philosophie. (Sourires.)
En effet, vous n’ignorez pas que les historiens, les géographes et les philosophes aiment souvent s’écharper sur les concepts et les récits, afin de défricher ce qui relèverait du mythe ou du réel, de l’illusion ou du vécu. Autant dire que l’intitulé du débat a tout pour me plaire !
Seulement, pour vous parler en toute transparence, j’ai été dubitatif en découvrant son objet, car je n’ai pas su exactement ce que signifiait l’expression « État territorial ». Est-ce une variante de l’État unitaire ? De l’État fédéral ? De l’État décentralisé ou de l’État déconcentré ? Vise-t-on la France en particulier, ou s’agit-il, plus largement, d’un modèle théorique abstrait ?
Bien entendu, je comprends l’esprit de la formule : elle vise le rapport de l’État à son territoire, ou à ses territoires, et plus spécifiquement le rapport entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales. C’est finalement un moyen de nous confronter à l’ambiguïté du lien entre le territoire de l’État et les territoires dans l’État. Bref, voilà un vaste programme, que notre assemblée ne craint pas d’affronter. Je m’en réjouis !
En effet, par cette expression, nous poursuivons les travaux déjà engagés en 2016 par le Sénat à la suite du rapport d’information rédigé par Éric Doligé et Marie-Françoise Perol-Dumont.
Nos anciens collègues dressaient le constat suivant : les services déconcentrés de l’État sont confrontés à une succession de réformes qui remettent périodiquement en question leurs modalités d’organisation, leurs priorités d’action et leurs moyens matériels et humains.
Plusieurs axes de progression étaient ressortis de ce rapport, parmi lesquels je relèverai la volonté de maintenir la proximité de l’administration déconcentrée avec les collectivités territoriales, mais surtout de donner à ces dernières les moyens de surmonter la complexité de l’organisation administrative et de ses procédures.
Il y a quelques semaines, nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche se sont chargés de dresser un nouveau bilan de ces problématiques, via un nouveau rapport, d’ailleurs excellent, sur le thème de l’État territorial. Je veux souligner la qualité de leur travail et faire observer que notre assemblée tient assidûment son rang de chambre des territoires.
Surtout, il ressort de ce travail que les problématiques identifiées dès 2016 demeurent, pour l’essentiel, les mêmes.
C’est tout particulièrement le cas de l’ingénierie territoriale, qui continue de poser de nombreuses difficultés dans nos collectivités. Les petites communes et communautés de communes de notre ruralité, symboles de la diversité territoriale de notre pays, sont les plus concernées.
Là-bas, les acteurs locaux, élus et agents constatent une baisse régulière des compétences des services déconcentrés de l’État.
Le RDSE étant forcément sensible à cette question, nous avons souhaité, en 2018, y apporter une réponse en créant l’ANCT. Celle-ci devait remédier à l’insuffisance, voire à l’absence de moyens d’ingénierie, ainsi qu’à la trop grande complexité des procédures, accrue par la multiplication des intervenants et des opérateurs.
Hélas ! de nombreux progrès restent à faire, l’agence ne pouvant répondre à elle seule à une telle problématique. Nos collègues Josiane Costes et Charles Guené l’avaient d’ailleurs souligné en 2020 dans leur rapport intitulé Les collectivités et l’ANCT au défi de l’ingénierie dans les territoires.
Une pluralité d’acteurs sont mobilisés : intercommunalités, services départementaux et régionaux, services privés d’ingénierie, etc. Pourtant, il reste des carences. Les besoins en ingénierie des collectivités territoriales les moins densifiées sont encore largement non pourvus.
Il nous reste donc de quoi nous occuper dans les années à venir pour mettre en place des dispositifs qui favoriseront la bonne administration de nos territoires. Et cela devra naturellement venir de l’État.
En conclusion, pour revenir à l’intitulé du débat, s’il faut choisir entre mirage et réalité, l’idée d’un « État territorial » donne moins à représenter la réalité qu’à la transformer.
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Elle offre un cap : celui d’une administration homogène et collaborative entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités territoriales.
En voulant décrire et expliquer cette notion d’État territorial à partir de nos expériences locales, nous découvrons finalement un moyen d’analyser les sources du mal que rencontrent nos administrations et, ce faisant, des remèdes se dégagent. De ce point de vue, il n’y a ni mirage ni réalité, mais une méthode et une volonté ! (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Éric Kerrouche applaudissent également.)
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Requier, vous avez abordé plusieurs sujets – l’administration déconcentrée auprès des collectivités territoriales, les difficultés d’ingénierie territoriale – et appelé de vos vœux une plus grande simplification.
En ce qui concerne le maintien de l’administration déconcentrée auprès des collectivités, je redis à quel point le Gouvernement renforce les moyens de l’État. Comme promis, je listerai les cinq sous-préfectures qui ont rouvert leurs portes : Château-Gontier en Mayenne, Clamecy dans la Nièvre, Montdidier dans la Somme, Rochechouart en Haute-Vienne et Nantua dans l’Ain, auxquelles s’ajoute la nouvelle sous-préfecture créée à Saint-Georges, en Guyane.
Ensuite, j’insiste sur le fait que, après des années de diminution des effectifs, aucun emploi n’a été supprimé sur le périmètre de l’administration territoriale de l’État en 2021 et en 2022. Au contraire, nous ajoutons des postes : 350 ETP supplémentaires seront créés en cinq ans, dont 43 dès cette année ; plus 30 postes de sous-préfet, par redéploiement des postes de sous-préfet à la relance, dans les départements ruraux ; plus les sous-préfets référents thématiques ; plus 200 brigades de gendarmerie. J’en profite pour saluer très amicalement les gendarmes qui viennent de quitter la tribune.
Vous avez évoqué la création de l’ANCT : il s’agit selon nous du lieu où s’incarne le choc d’ingénierie que nous voulons créer au profit de nos collectivités territoriales. Vous appelez à renforcer ses moyens : c’est déjà une réalité. En effet, nous avons doublé dès le premier semestre 2023 les effectifs des délégués de proximité, qui sont dépêchés par l’ANCT dans les préfectures. Chaque région en comptera au moins un, afin que toutes les collectivités locales, y compris les plus petites, disposent d’un interlocuteur privilégié sur les questions d’ingénierie.
À ce propos, je vous confirme que nous travaillons sur un programme visant à servir les plus petites de nos communes, dont les besoins d’ingénierie sont réels. J’aurai plaisir, dans le cadre du nouveau souffle de l’agenda rural, à venir vous en parler d’ici à un mois, si vous le souhaitez.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.
M. Jean-Claude Requier. Madame la ministre, mon groupe a porté ici, avec M. de Nicolaÿ, qui était rapporteur au nom de la commission, le texte portant création de l’ANCT. Celui-ci a été édulcoré à l’Assemblée nationale, où on l’a affaibli en introduisant l’échelon régional, qui est trop lointain. À l’origine, nous comptions mettre sur pied un organisme départemental placé sous l’autorité du préfet afin de combler les silos qui séparent les administrations.
Je me réjouis toutefois que vous renforciez les effectifs de l’ANCT.
Pour ce qui est des sous-préfectures, j’en suis un fervent défenseur, en particulier dans le monde rural. En effet, les maires trouvent appui et conseil auprès des sous-préfets – et des sous-préfètes ! Il s’agit d’un maillage essentiel pour administrer les territoires ruraux.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Tout à fait !
M. Jean-Claude Requier. Je dis souvent aux maires de mon département : « Si vous voulez défendre et fortifier les sous-préfectures, faites travailler les sous-préfets ! »
M. Roger Karoutchi. Très bien !
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