Débat sur les conclusions du rapport « Abysses : la dernière frontière ? »
M. Stéphane Artano. Monsieur le secrétaire d'État, il y a près d'un an, lors de son discours sur le plan de relance France 2030, le Président de la République déclarait ceci : les fonds marins « sont un levier extraordinaire pour la compréhension du vivant ; il ne faut pas laisser dans l'inconnu une partie du globe ».
Si plus de 71 % de la surface de la Terre est couverte par des océans, les grands fonds marins restent très peu connus. Selon les scientifiques, 95 % des océans profonds restent encore inexplorés.
Je rappellerai trois chiffres pour qu'on se rende compte de l'ampleur de notre méconnaissance.
On recense actuellement environ 250 000 espèces vivantes sous-marines. Or, selon Jean-Marc Daniel, directeur du département chargé de l'exploration des grands fonds à l'Ifremer, on pourrait découvrir vraisemblablement entre 1 million et 10 millions de nouvelles espèces.
Au-delà de la découverte de nouvelles espèces, les fonds marins recèlent de nombreuses ressources minières, très convoitées, comme le cobalt, le manganèse ou le nickel. Ces métaux entrent notamment dans la composition des batteries électriques, éléments incontournables pour l'avenir de la décarbonation, de la production d'énergie et de son stockage.
Il est vrai qu'à l'heure où l'exploration des grands fonds marins s'accélère dans le monde, la France, l'un des pays pionniers de l'exploration des océans, doit aussi accroître ses efforts pour rester dans la course et maîtriser sa souveraineté dans son espace maritime.
Disposant du deuxième plus vaste domaine maritime au monde après les États-Unis, et ce grâce à nos outre-mer, notre pays a souvent été présenté comme un défenseur du monde marin. Or, dans un contexte où toutes les puissances maritimes renforcent leur développement technologique et leurs programmes d'exploration des eaux sous leur juridiction, comme avec les eaux internationales d'ailleurs, la problématique de l'exploitation des grands fonds marins refait surface.
Il faut noter que l'exploitation minière en haute mer constitue pour nombre d'entreprises privées une opportunité de développement, en particulier dans le secteur industriel, comme la production d'engins sous-marins d'avenir.
Cependant, cette exploitation inquiète de nombreux scientifiques et ONG, car elle implique des dégradations irréversibles de notre écosystème et de la biodiversité, avec notamment un effet immédiat sur la chaîne alimentaire océanique.
Ces craintes sont plus que légitimes et on ne peut les écarter d'un revers de main. C'est pourquoi je les rejoins quant à leur revendication de renforcer avant tout notre connaissance des profondeurs. Il s'agit d'un préalable indispensable à l'élaboration d'un cadre juridique d'exploitation minière le plus respectueux de l'environnement possible. Ces raisons ont justifié le moratoire qui a été adopté.
Monsieur le secrétaire d'État, je m'interroge donc naturellement sur la position du Gouvernement à ce sujet. Vous avez défloré le sujet précédemment, mais quelle politique souhaitez-vous mettre en œuvre pour l'exploration et l'exploitation des fonds marins ?
Vous comprendrez que nous soyons parfois un peu perdus entre la déclaration, en juillet dernier, du Président de la République, lors de la conférence des Nations unies sur l'océan, dans laquelle il en appelle à « l'élaboration d'un cadre légal pour mettre un coup d'arrêt à l'exploitation minière des fonds en haute mer », et ses déclarations précédentes soutenant la quête d'une extraction minière en eaux profondes.
La publication des excellents travaux de la mission d'information sur l'exploration et la protection des fonds marins, dont nous débattons aujourd'hui, tombe donc à pic.
Ainsi, je souscris à la recommandation de nos collègues visant à temporiser sur une prospection et une exploitation prématurée des ressources minières dans l'attente d'acquérir une connaissance scientifique suffisante sur la question. Néanmoins, comme cela a été souligné par le rapport, cette prudence ne doit pas être synonyme d'immobilisme et nous extraire de la compétition mondiale.
À ce titre, comme l'a rappelé le rapporteur, l'État doit s'impliquer pleinement dans la structuration d'une base industrielle et technologique souveraine et compétitive au niveau international, car nous devons garder à l'esprit que d'autres puissances mondiales, comme les États-Unis ou la Chine, sont moins timorées en la matière.
Dans tous les cas, le pilotage de la politique à mener sur les abysses, au regard du caractère transversal des enjeux, mérite de gagner en visibilité. On ne peut donc que soutenir la création d'un ministère de la mer de plein exercice, compétent pour établir une stratégie maritime centralisée pour les fonds marins, comme le propose la mission d'information.
Enfin en tant qu'élu ultramarin, j'insiste sur cette recommandation, ainsi que sur celle de renforcer en particulier les moyens humains et financiers de l'Ifremer, notamment.
Quelle que soit la position du Gouvernement, cette politique doit absolument y associer le Parlement et les outre-mer, aux différents stades : élaboration, pilotage et suivi. En effet, la question des grands fonds marins ne doit pas être uniquement abordée sous le prisme des avis des instances étatiques et des experts. L'opposition ferme des habitants de Wallis-et-Futuna en 2010 et 2012 doit nous servir de leçon.
Cette décision doit être prise de manière transparente et démocratique, car elle concerne directement l'ensemble des personnes qui résident dans des régions où les modes de vie, l'économie et la culture sont influencés par l'environnement maritime. Dès lors, nous devons établir, tous ensemble, une stratégie maritime respectueuse de la biodiversité et des écosystèmes, sans quoi elle pourrait susciter la méfiance des territoires et engendrer ainsi des blocages.
J'espère, monsieur le secrétaire d'État, que vous saurez nous éclairer et nous offrir une meilleure visibilité. (Applaudissements.)
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