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Projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

M. André Guiol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 26 juin 1988, à la suite des événements survenus dans la grotte d’Ouvéa, les loyalistes et les indépendantistes topaient dans la douleur un processus d’émancipation inédit qui allait libérer la parole des indépendantistes.

Avant d’ouvrir la voie à la paix, les accords de Matignon ont succédé à ce que l’on appelle encore pudiquement « les événements », quand certains historiens préfèrent parler de « guerre civile ». Quelle que soit leur qualification, les faits ont été dramatiques : boycott d’élections, assassinats, prise d’otages, barrages et manifestations ont ponctué cette décennie.

Aussi, le souvenir tragique de cette période nous oblige à faire preuve de beaucoup de prudence. Tous les groupes en ont fait le constat la semaine dernière : les enjeux de ce texte vont bien au-delà du simple dégel électoral.

Certes, les circonstances rendent acceptable de ne donner la parole qu’à une partie de la population, présente sur l’île depuis toujours. Cependant, comme nous l’avons déjà répété à cette tribune, le gel d’une partie du corps électoral représente une situation inédite dans notre République.

Notre groupe est profondément mal à l’aise face au débat qui se pose. D’un côté, comment tolérer une telle entorse démocratique à l’égard d’une partie de nos concitoyens et à nos principes constitutionnels les plus élémentaires, au premier rang desquels je citerai l’universalité du suffrage posée à l’article 3 de notre Constitution ?

De l’autre, nous constatons que les efforts politiques pour parvenir à un accord, depuis le processus référendaire, s’essoufflent. La ligne de fracture entre le nord et le sud – entre Européens et Kanaks – semble s’étendre. Les initiatives de rééquilibrage, lancées par les gouvernements successifs, n’ont rien donné.

En trente ans, les inégalités économiques entre Européens et Kanaks ont continué de se creuser. Aux divisions sociales s’ajoute la fracture politique sur la question de l’indépendance.

Lors des élections locales de 2014, la répartition des votes entre loyalistes et indépendantistes recouvrait parfaitement celle de la population kanak et non kanak sur le territoire. Pourtant, l’accord de Nouméa énonçait : « Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun. »

Mes chers collègues, la question de l’indépendance est une chose, mais celle de la décolonisation en est une autre. Pouvons-nous considérer les conditions du rééquilibrage satisfaisantes ? Permettent-elles de revenir sur le statu quo qui prévalait depuis l’accord de Nouméa ? Sommes-nous parvenus au bout du chemin du pardon évoqué par le Président de la République, Emmanuel Macron ? Ces questions se posent naturellement, alors même que le dégel du corps électoral est une exigence juridique.

Au nom des principes démocratiques et républicains, ce dégel s’impose à nous, mais il ne faudrait pas qu’il apparaisse comme une victoire aux yeux des loyalistes.

En ce sens, le texte du Sénat nous semble aller vers un chemin plus raisonnable. En effet, mes chers collègues, il faut laisser plus de temps aux parties de trouver un accord. Les modifications du rapporteur vont dans le bon sens. Il faut réaffirmer les valeurs portées par l’accord de Nouméa. Il nous paraît essentiel de débattre d’un texte qui rappelle le destin commun qui lie les Calédoniens.

Toutefois, n’oublions pas qu’une partie du corps électoral restera gelée. Dès lors, les exigences portées en 2005 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’imposeront de nouveau. Nous serons tenus de prévoir des dispositions transitoires permettant d’atteindre un seul et unique but : l’autodétermination.

Malgré les efforts de notre assemblée, ce texte nous permettra-t-il d’aboutir à un véritable processus d’autodétermination ? Nous craignons, au contraire, qu’il ne mette un coup d’arrêt à la stabilité qui prévaut depuis l’accord de Nouméa. La situation de statu quo pourrait être fortement compromise si aucune garantie politique n’était octroyée.

Mes chers collègues, nous attendions beaucoup du débat de la semaine dernière. Le texte du Sénat a adouci une position que nous jugions trop volontariste. Au regard de l’histoire qui est la sienne et des spécificités territoriales qu’elle englobe, la Nouvelle-Calédonie mérite un accord politique qui respecte la volonté du peuple premier.

Nous souhaitons que cet accord aboutisse, mais donnons à la Nouvelle-Calédonie le temps nécessaire d’avancer de manière apaisée. Jean Jaurès a dit que la République était un grand acte de confiance. Elle doit être capable d’une telle confiance, laissons-lui encore un peu de temps…

Dans cette attente, et pour prendre en considération l’aspect juridique et constitutionnel du sujet, une majorité des membres du groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

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