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Proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne

M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, savez-vous ce qu'est la citoyenneté ?

 

À cette question, posée dans le cadre d'une enquête que j'ai lancée avec leurs enseignants M. Fonterray et Mme Kindermans, 28 % seulement des 628 jeunes du lycée Henri-IV de Béziers et 218 du lycée professionnel Jean-Mermoz ont répondu oui.

Ce chiffre ferait frémir les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En 1789, ces derniers affichaient ainsi leurs motivations : « Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du Pouvoir législatif et ceux du Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. »

Deux siècles et demi plus tard, qu'est devenue la notion de bonheur pour tous ?

Alors que la défiance des citoyens envers leurs élus et leurs institutions n'a jamais été aussi exacerbée, il me semblait utile de nous interroger et de nous remettre en question.

En effet, les différentes analyses s'accordent au moins sur les constats : en mars 2023, 75 % des Français interrogés dans le cadre du dernier baromètre Cevipof disaient ne pas faire confiance au Gouvernement.

Nous, parlementaires, ne sommes pas loin derrière : la défiance à notre égard atteignait 68 % à 72 %.

À cela s'ajoutent les agressions des élus – elles ont progressé de 32 % en 2022 – et la place grandissante accordée aux réseaux sociaux.

Comme les élus, les journalistes subissent, eux aussi, une perte de confiance. Selon un sondage Kantar Public-Onepoint pour le journal La Croix, 57 % des Français pensent que, la plupart du temps, il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité.

Dans ce contexte de défiance, comment revenir aux valeurs communes de notre République ?

Le groupe RDSE a bien compris l'enjeu principal de ce travail : se réunir autour de valeurs et aller vers un avenir partagé. Je l'en remercie.

La mission d'information sur le thème « Comment redynamiser la culture citoyenne ? », présidée par notre collègue Stéphane Piednoir, s'est structurée autour de trois axes principaux : mieux éduquer, encourager une citoyenneté active et repenser les pratiques démocratiques pour rapprocher les citoyens des institutions.

En ce qui concerne le premier axe et partant de ce constat de défiance de la part des citoyens, nous avons opté pour un parti pris : nous préoccuper des jeunes. En effet, la citoyenneté se construit, elle s'enseigne, elle s'apprend.

L'éducation morale et civique (EMC) a donc été le point central de notre travail. De toute évidence, les réformes successives ont en effet entraîné une instabilité de la matière.

En 2018, à l'occasion d'une conférence, Jean-Marc Sauvé, alors vice-président du Conseil d'État, indiquait : « Bien que la réforme de l'EMC soit érigée au rang de priorité politique de l'exécutif, la discipline se voit en fait attribuer des moyens limités et garde un statut très secondaire. »

Deux de ses avis formulés à l'époque me semblent essentiels.

Il recommandait, d'abord, de « développer et maintenir des liens réciproques entre les jeunes, les institutions républicaines et les organisations de la société civile ».

Dans cet esprit, j'ai lancé dans mon département un projet d'intervention de binômes d'élus dans les établissements scolaires. Certains m'ont rétorqué que cette pratique était généralisée. Or c'est inexact : si la démarche existe, elle n'est ni structurée ni encadrée.

La convention cosignée récemment avec Sophie Béjean, rectrice de l'académie de Montpellier, et Frédéric Roig, président de l'association des maires du département de l'Hérault, énonce les enjeux : les élus porteront d'une même voix auprès des jeunes scolarisés les valeurs de la République, les droits et les devoirs.

Dans un pays où désormais les enseignants sont les cibles d'actes terroristes engendrés par l'obscurantisme, cette ambition est plus que symbolique.

Jean-Marc Sauvé explique : « La refondation du pacte de citoyenneté devrait passer, en premier lieu, par la réaffirmation des valeurs qui sont à sa racine. La citoyenneté française s'est inscrite dans une vision partagée du bien commun et de l'intérêt général. L'individualisation et l'émiettement de nos sociétés […] abolissent les intermédiations et conduisent les citoyens à se replier sur des choix individuels. »

C'est pourquoi je souscris pleinement à sa deuxième proposition : « Intégrer les jeunes en amont dans la construction des politiques publiques qui les concernent. »

La citoyenneté se construit en effet à l'école. L'égalité des chances n'est pas assurée quand seulement 10 % des Français indiquent que l'orientation dans la voie professionnelle est choisie.

Comment se sentir citoyen, c'est-à-dire partie prenante de la société, quand on vit dans un quartier qui concentre un grand nombre de difficultés ?

C'est pourquoi je travaille sur ce sujet avec une trentaine de jeunes de banlieue – de Vaulx-en-Velin, Paris, Marseille ou encore Toulouse – et en particulier avec Dylan Ayissi, un jeune engagé et motivé, créateur de l'association Une Voie pour tous.

Tout au long de notre mission, nous avons évidemment reçu des experts en audition, mais je suis particulièrement fier d'avoir auditionné des jeunes. Il est vain, en effet, de parler des jeunes sans aller à leur rencontre, sans les écouter, sans se nourrir de leurs réflexions et de leurs idées.

Ainsi, j'ai organisé en particulier un déplacement dans le quartier populaire de La Paillade, à Montpellier. Les sénateurs ont pu entendre les jeunes parler de leur vie, de la vraie vie.

L'un d'eux a dit : « Je me sens exclu de la République. » Comment se sentir citoyen quand on se sent exclu de la République ?

Le deuxième axe de notre mission était d'encourager une citoyenneté active.

Pour faire société, le citoyen doit se sentir acteur de son devenir. C'est dans cet esprit qu'a été créé le service civique, héritier direct du service civil volontaire, lui-même instauré par une loi dont le projet a été déposé – ce point est éclairant – quelques semaines après les violentes émeutes des banlieues de 2005.

Plus récemment, la création du service national universel (SNU) s'est inscrite dans une démarche similaire. Les débats tronqués sur son aspect militaire ne sont que de faux arguments. L'urgence du contexte nous impose d'être unis à ce sujet contre des idées fausses.

Tant le service civique que le SNU sont fondés sur l'idée que l'engagement des jeunes constitue le socle de leur formation citoyenne.

C'est pourquoi je suis favorable à les faire cohabiter. À l'heure de la montée en puissance du SNU, ce serait une erreur d'abandonner le service civique.

Il faut, au contraire, le développer et le voir comme un complément. Le SNU offre les bases, le service civique les développe, les nourrit et apporte au volontaire une expérience à la fois humaine, de solidarité, mais aussi professionnelle.

Dans une récente étude auprès des jeunes volontaires, l'association Unis-Cité, présidée par Marie Tréllu-Kane, pointe l'importance du service civique pour les jeunes décrocheurs scolaires. Elle préconise aussi de se préoccuper de la mobilité en milieu rural.

Enfin, le troisième axe de notre travail vise à repenser les pratiques démocratiques pour rapprocher les citoyens des institutions.

Faire un état des lieux de notre système, c'est bien ; nous remettre en question, c'est mieux.

Les Français n'ont plus confiance. Qu'avons-nous donc raté ? Les partis politiques sont à bout de souffle, mais on continue. Jusqu'à quand ? Jusqu'à quel mur ?

L'abstention est devenue le premier parti de France. Jusqu'où irons-nous dans l'affaiblissement de la légitimité du suffrage universel, quand, en 2020, les maires des grandes villes ont été élus en moyenne par 18 % des inscrits ?

J'aurais souhaité aller plus loin dans les préconisations, mais, vous le savez, pour qu'un rapport soit voté, il faut composer.

J'ai donc composé sur la démocratie contributive, qui me tient à cœur, sur la reconnaissance du vote blanc ou encore sur le vote obligatoire, qu'il faudra bien un jour mettre en débat.

Nous en sommes restés au mode de scrutin. D'autres textes – et demain la réforme institutionnelle annoncée lors du premier mandat du Président de la République – nous forceront peut-être à nous poser les bonnes questions.

Cette proposition de loi est loin de couvrir l'ensemble des problèmes de la citoyenneté et des jeunes.

Adopté à l'unanimité le 7 juin 2022, le rapport de la mission d'information est assorti de vingt-trois recommandations.

Six d'entre elles supposent des modifications de dispositions législatives en vigueur concernant l'EMC, la journée défense et citoyenneté, les centres de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Épide), la double procuration, la profession de foi électronique et le statut de l'étudiant élu.

Cette proposition de loi est donc limitée, car elle a pour seule ambition de faire progresser quelques préconisations.

Je me réjouis néanmoins de son vote à l'unanimité par la commission de la culture et je remercie M. le rapporteur, mon ami et collègue Bernard Fialaire.

Nous avons travaillé ensemble à la réécriture de certains articles, qui augurent, je l'espère sincèrement, une avancée probante.

C'est ainsi que je conçois le travail parlementaire : une coconstruction dans le seul but d'améliorer l'existant, et, surtout, dans le seul but de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. le président de la commission, Mme Sabine Drexler et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

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