Proposition de résolution proposant au Gouvernement de renforcer l'accès aux services publics, auteur de la PPR
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre quotidien, l'essor des plateformes téléphoniques a ses bons et ses mauvais côtés.
Quand tout va bien, appeler un service public plutôt que patienter dans une interminable file d'attente est un gain de temps, surtout si l'on est géographiquement éloigné dudit service.
Cependant, lequel d'entre nous n'a jamais connu « tapez 1, tapez 2 ou tapez 3 » avec au bout du compte, ou plutôt au bout de la ligne, un bip, c'est-à-dire personne !
Cette réalité a été documentée par une récente enquête du magazine 60 millions de consommateurs, réalisée en collaboration avec la Défenseure des droits. Elle révèle les obstacles que rencontrent les usagers pour joindre les services publics par téléphone. Les tests conduits par les enquêteurs ont montré que 40 % des appels n'aboutissaient pas et que, quand ils aboutissent, la durée d'attente en ligne atteint en moyenne neuf minutes.
Faisant face à un manque de conseillers, l'assurance maladie est le service le plus critiqué. Pour la caisse d'allocations familiales, près de la moitié des appels restent sans réponse. Quand le conseiller est enfin joignable, il redirige l'usager, dans certains cas, vers internet…
Là encore, dans un monde parfait, la dématérialisation des démarches pourrait être la meilleure des solutions. Elle suppose toutefois deux conditions : un minimum de compétences informatiques et un bon réseau. Malheureusement, près de 14 millions de nos concitoyens sont frappés d'illectronisme comme l'avait souligné notre ancien collègue du Gers Raymond Vall dans le rapport de la mission d'information « Lutte contre l'illectronisme et inclusion numérique ».
Dans ces conditions, la dématérialisation des services publics peut engendrer de véritables souffrances sociales, en particulier chez les plus modestes, les personnes âgées ou les personnes souffrant d'un handicap physique. Non seulement ces personnes accèdent difficilement à leurs droits, mais plus globalement elles se sentent exclues du monde moderne. C'est une fracture de plus.
Bien entendu, je n'ignore rien des différentes politiques qui ont été mises en œuvre au cours de ces dernières années pour favoriser l'inclusion numérique. Mais il faudra faire davantage pour réduire le fossé entre les connectés et les non-connectés. Notre proposition de résolution appelle notamment au développement d'une stratégie numérique inclusive tout au long du parcours scolaire et de façon précoce.
L'accès aux services publics dématérialisés, c'est aussi bien entendu une question de réseau. Sur ce volet, nous sommes bien placés, dans les territoires ruraux, pour constater les difficultés persistantes de son déploiement dans certaines zones.
Pourtant, mes chers collègues, c'est parce que les moyens pour se déplacer et communiquer sont bien souvent distants en milieu rural que la téléphonie mobile et, avec elle, internet y sont plus utiles qu'ailleurs. L'ancien sénateur de la Lozère Alain Bertrand l'avait très justement relevé dans son rapport sur l'hyperruralité.
Garantir l'accès au numérique est un devoir que nous rappelle aussi le projet de déclaration européenne publié le 26 janvier 2022 sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique, qui précise : « Toute personne devrait avoir accès à des technologies qui visent à unir et non à diviser. La transformation numérique devrait contribuer à l'équité sociale et économique dans l'Union. »
Certes, l'État et les opérateurs s'efforcent de mieux prendre en compte la couverture des territoires ruraux à travers différents plans d'action. Monsieur le ministre, votre collègue chargé de la transition numérique et des télécommunications a indiqué en avril dernier devant la commission des affaires économiques du Sénat qu'il fallait trouver un accord entre l'État, les opérateurs et les collectivités pour relever les défis restants du grand chantier de la fibre et répartir l'effort financier de manière équitable et juste. Nous en sommes bien d'accord !
Cela est d'autant plus vrai, comme l'a rappelé en décembre dernier notre collègue Éric Gold lors des questions d'actualité au Gouvernement, qu'il y a le défi quantitatif du déploiement du réseau, mais aussi celui de sa qualité. Le réseau en cuivre, progressivement abandonné, pose problème, car il est mal entretenu, y compris dans les territoires qui n'ont toujours pas la fibre et où les délais de dépannage sont longs.
En attendant, au rythme actuel, les normes de débit devraient être inférieures à celles fixées par l'Union européenne à l'horizon de 2025.
Aussi, la numérisation des services publics « à marche forcée », comme l'a qualifiée le Secours populaire en 2021, a un revers, et non des moindres : certains usagers renoncent à leurs droits. Je citerai l'exemple avancé par l'Assemblée des départements de France qui a identifié cet hiver la sous-consommation du chèque carburant comme la conséquence de la fracture numérique. Face à tout cela, il est fondamental que le contact humain reste possible.
Là aussi, ces difficultés pourraient être relativisées si, dans le même temps, l'État ne s'était pas déchargé du maintien des services publics de proximité.
La dégradation continue des comptes publics depuis la fin des années 1970, combinée à une démographie défavorable dans certaines communes, a en effet conduit à des réformes rationalisant à l'excès le maillage territorial des services publics. Comme vous le savez, mes chers collègues, ces réformes ont touché aussi bien les administrations de sécurité sociale que les trésoreries ou La Poste. Tout le territoire a été concerné, y compris l'outre-mer pourtant déjà mal loti.
Bien que, dans son rapport intitulé L'accès aux services publics dans les territoires ruraux, la Cour des comptes considère qu'il n'y a pas eu d'abandon généralisé des territoires ruraux par les grands réseaux nationaux de services publics, elle relève toutefois que le niveau d'implantation varie selon les réseaux considérés.
C'est vrai, les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public ont permis d'améliorer la situation ou de la stabiliser.
Et bien sûr, grâce à la mobilisation des collectivités locales, très impliquées dans le développement d'une offre de services publics mutualisés, le pire a été évité. Je pense au réseau des maisons France Services qui permet de maintenir un accompagnement adapté aux besoins locaux.
J'ajoute toutefois que moins d'un quart des maisons France Services sont accessibles par transports en commun et que leur implantation et leur fonctionnement reposent sur la bonne volonté et les moyens financiers des collectivités locales.
Mon groupe souhaiterait, je le répète, un partenariat plus équitable entre l'État et les collectivités locales, car les services publics demeurent une composante essentielle de l'aménagement et de l'attractivité des territoires. Dans nombre de communes, les commerces ferment et seul un service public reste ouvert.
Mes chers collègues, le principe d'égalité des droits est au cœur du pacte républicain. Il n'est pas besoin de démontrer combien nos concitoyens y sont sensibles.
La disparition programmée du timbre rouge illustre bien ce sentiment. Alors que les Français se rendent de moins en moins dans les bureaux de poste pour y déposer un courrier, ils supportent mal la réorganisation de ce réseau. Ce paradoxe s'explique simplement : La Poste bénéficie de l'image très populaire du facteur. Dans nos villages, il est souvent connu de tous et il représente le principal ambassadeur du lien social, ainsi que le gardien de la présence publique de proximité, si nécessaire à la cohésion sociale.
L'exemple du facteur démontre, s'il en était besoin, la nécessité de maintenir les services publics sur le territoire, en particulier dans le monde rural. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)
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