Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 18 et 19 juin 2020
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'épidémie de Covid-19 conduisant l'Europe, comme le reste du monde, au confinement de sa population, affecte durement l'économie du continent : une récession attendue autour d'au moins 8,7 % pour la zone euro en 2020, une baisse des exportations de l'Union européenne estimée entre 9 % et 15 %, plusieurs millions d'emplois menacés. Selon les experts, nous serions face à la pire des crises connues en temps de paix. Aussi, nous sommes dans une situation d'urgence économique – c'est peu de le dire.
Cette situation exige plus que jamais l'exercice concret de la solidarité entre pays, un principe théoriquement gravé dans le marbre. Doit-on en effet rappeler aux pays dits « frugaux » l'article 3 du traité sur l'Union européenne, qui dispose que l'Europe « promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres » ?
Certes, les propositions de la Commission européenne concernant l'instrument de relance sont ambitieuses et, à ce titre, on peut comprendre qu'elles suscitent des crispations. Prévoir 750 milliards d'euros sous la forme de subventions et de prêts aux États membres les plus touchés par la crise sur le fondement d'un emprunt communautaire : osons le dire sans tabou, nous sommes sur la voie d'une dette européenne mutualisée.
Le RDSE salue cette avancée qui nous semble indispensable pour garantir la cohésion de la zone euro. L'heure n'est plus aux tergiversations. Comme l'a rappelé la semaine dernière la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), « plus vite le paquet sera adopté, mieux ce sera pour l'économie de l'Union ».
Même si l'on peut saluer l'esprit d'ouverture des Pays-Bas, de la Suède, du Danemark et de l'Autriche, nous savons que la répartition entre subventions et prêts les préoccupe. Pourtant, c'est bien à l'aune du niveau des subventions que sera jugée la capacité de l'Europe à garantir enfin un véritable soutien mutuel entre États membres.
Il faut donc s'en tenir à la proposition franco-allemande de 500 milliards d'euros sous la forme privilégiée de subventions. Déjà 540 milliards d'euros de prêts sont engagés au titre des premières mesures de soutien. Ajouter des prêts aux prêts n'aurait pas la même portée économique, car cela surendetterait les pays les plus exposés à la crise.
Madame la secrétaire d'État, nous savons bien ce que les « frugaux » vont mettre dans la balance : la conditionnalité des aides et le maintien des rabais. Si c'est le prix à payer pour obtenir un accord rapide et, surtout, le maintien d'un instrument reposant principalement sur des subventions, nous devrons nous y résoudre.
Cette fameuse question des rabais me conduit à revenir sur le prochain cadre financier pluriannuel auquel est adossé l'instrument de relance. Les mêmes pays ont demandé une révision à la baisse de son montant global. Sur ce point, madame la secrétaire d'État, quelle marge de manœuvre avons-nous ? La proposition de CFP du 27 mai est déjà assise sur un compromis. Raboter les 1 100 milliards d'euros sur la table ne permettrait pas de concilier les politiques traditionnelles et les nouvelles priorités.
Il a déjà fallu consentir des sacrifices dans certains domaines par rapport à ce que l'on aurait pu faire avec la proposition de la Commission européenne de mai 2018, laquelle – je le rappelle – prévoyait une enveloppe de 1 279 milliards d'euros.
Je pense en particulier aux moyens consacrés à la PAC et au développement rural. Certes, la dernière proposition de CFP renforce ce volet en prévoyant une enveloppe de 20 milliards d'euros, si l'on intègre le bonus tiré de l'instrument de relance, mais nous restons en dessous du niveau du CFP en cours, alors que des filières agricoles, comme la viticulture ou l'horticulture, connaissent des difficultés considérables dans plusieurs États membres.
Avec 8 milliards d'euros, le Fonds européen de la défense est également sacrifié sur l'autel des économies, dans un contexte stratégique pourtant très sensible.
Par ailleurs, l'épidémie de Covid-19 impose une nouvelle priorité qu'il faudra doter de moyens : l'ébauche d'une Europe de la santé. Si l'organisation des systèmes de soins est une compétence exclusive des États, les traités ont toujours préconisé d'encourager un niveau élevé de protection de la santé des Européens. Nous voilà aujourd'hui face à cette nécessité. Je salue donc les efforts engagés en faveur du programme de l'Union européenne pour la santé dans le prochain cadre financier pluriannuel et au titre de l'instrument de relance, soit 9,4 milliards d'euros au total.
J'espère, en outre, que la politique européenne de la santé permettra de répondre à la question de la dépendance européenne vis-à-vis de l'Asie pour des biens aussi fondamentaux que le matériel médical et les médicaments. Le chantier est en tout cas ouvert ; on peut s'en réjouir.
Tous ces engagements, avec pour toile de fond la transition verte, à laquelle mon groupe souscrit naturellement, supposent un réel effort financier dans la durée. S'agissant de l'instrument de relance, si le remboursement du capital n'intervenait qu'à partir de 2028 pour trente ans, il faudrait néanmoins envisager rapidement de nouvelles recettes pour ne pas alourdir les contributions nationales dans un contexte qui conjugue récession, départ du Royaume-Uni et probable maintien des rabais.
Dans ces conditions, il faut aboutir rapidement à un accord sur un panier de nouvelles ressources propres. Lundi dernier, la commission des budgets du Parlement européen a une nouvelle fois demandé au Conseil de les mettre en œuvre.
Le dossier de la taxe sur le numérique semble faire son chemin. C'est une bonne chose, et mon groupe y est favorable, mais elle ne rapporterait que 5 milliards d'euros, tout comme la taxe sur les déchets plastiques. Un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union européenne est aussi attendu.
Enfin, madame la secrétaire d'État, je souhaite attirer votre attention sur la question du filtrage des investissements. L'Europe s'apprête à déverser beaucoup d'argent pour sauver son économie, dont une majeure partie sera orientée vers les entreprises. Dans cette perspective, il est fondamental de mettre en place un instrument pour protéger les marchés européens. Le mécanisme de filtrage émergera-t-il avant la fin de l'année ?
Mon groupe attend aussi beaucoup de la mise en œuvre de la stratégie de l'Union face à la Chine, qui a été publiée en 2019, mais qui peine à se concrétiser, comme l'ont constaté les dirigeants européens réunis sur ce sujet le 22 juin dernier.
Mes chers collègues, pour conclure, je rappellerai cette fameuse citation de Robert Schuman donnant le coup d'envoi à la Communauté européenne : « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. » À l'aube de la plus grave crise économique qu'elle a connue, l'Union européenne a plus que jamais besoin d'unité et de solidarité. Mon groupe espère que tous les États membres seront au rendez-vous de ces deux principes fondateurs du pacte européen. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi qu'au banc des commissions.)
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