Débat sur la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l'élaboration de réglementations européennes d'harmonisation
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président de la commission, je vous remercie de nous proposer aujourd'hui ce débat.
Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au fil des décennies, le projet européen s'est affirmé autour de valeurs communes et nourri de politiques toujours plus protectrices pour nos concitoyens. De la simple mise en commun des ressources nécessaires à la reconstruction de l'Europe d'après-guerre, nous sommes passés aujourd'hui à une Union européenne très volontariste dans presque tous les domaines.
Mon groupe, le RDSE, qui est profondément attaché à l'Europe, est bien entendu favorable à la mise en place et l'approfondissement de politiques européennes répondant aux défis du quotidien, qu'ils soient économiques, sociaux, sécuritaires, environnementaux ou sanitaires.
Pour autant, chacun des États membres a ses spécificités liées à son histoire et à son territoire, ou plutôt à ses territoires. Ce constat est une évidence, mais il convient de le rappeler au triptyque institutionnel que forment le Conseil, la Commission et le Parlement européen.
Compte tenu de l'élargissement croissant des compétences de l'Union européenne et du principe de supranationalité du droit européen; il nous semble important d'être vigilants quant au champ des directives et règlements. C'est d'ailleurs ce que fait avec rigueur le groupe de travail « subsidiarité » du Sénat. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour saluer la qualité de son travail.
Il ne s'agit pas de dire que l'Union européenne nie la diversité, d'autant que le Traité sur l'Union européenne souligne que l'Union « respecte l'identité nationale des États membres » ou encore « la richesse de sa diversité culturelle ». Toutefois, certaines dispositions peuvent heurter des traditions, des cultures, des richesses territoriales, et parfois même les menacer.
Nous avons tous connaissance d'exemples récents concernant des réglementations européennes pesant sur certains savoir-faire. Je pense au règlement européen Reach sur le contrôle des substances chimiques, qui met en danger la profession des vitraillistes, en interdisant purement et simplement l'usage du plomb. La France, terre de vitraux, pourrait voir ainsi disparaître un artisanat unique. Que serait la reconstruction de Notre-Dame de Paris sans ces vitraux à la française ?
Comme vous le savez, madame la secrétaire d'État, le Sénat s'est ému de cette situation, en adoptant la résolution du 26 août dernier.
Vous avez également été alertée, en particulier par mon collègue Jean-Yves Roux, sur l'avenir de la filière de lavande et du lavandin, dont la production et ses dérivés sont directement menacés par un changement de réglementation européenne, alors que la filière doit faire face à une attaque parasitaire, ainsi qu'à une concurrence très importante.
Les multiples tests qu'entraînerait le changement de classification des huiles essentielles à base de lavande risquent de fragiliser de nombreux acteurs du secteur. Au-delà de la richesse que représentent ces plantes dans la culture provençale, près de 9 000 emplois directs seraient impactés. En outre, que deviendrait le tourisme des Alpes-de-Haute-Provence ou du plateau de Valensole sans les champs de lavande ?
Sans méconnaître les nouvelles exigences des consommateurs, il est important que les États conservent une certaine latitude dans la façon de les protéger.
À mon sens, afin d'éviter les mauvaises surprises liées à une harmonisation trop rigide des normes, il faut garder à l'esprit quelques axes.
Il convient tout d'abord de veiller à ce que l'exécutif national évite la sur-transposition, comme cela peut parfois arriver. À cet égard, je rappelle que nous avions adopté ici, en 2018, un projet de loi portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français.
Il est également fondamental que notre pays se mobilise très en amont concernant l'élaboration des projets de directive, afin de peser au plus tôt dans les négociations qui président à leur élaboration.
Je dirai également un mot de l'inflation normative qui n'épargne pas les institutions européennes. Dès 2014, la Commission européenne avait lancé un programme intitulé Mieux légiférer, qui s'était traduit par une réduction importante du nombre d'initiatives nouvelles de la Commission.
Qu'est devenue depuis lors cette volonté exprimée à l'époque par Jean-Claude Juncker, madame la secrétaire d'État, au sujet de la lutte contre l'inflation des normes au sein de l'Union ?
Enfin, la piste d'une amélioration des analyses d'impact des actes européens dans les États membres mérite d'être explorée. C'est en effet le meilleur moyen de sauvegarder dans nos territoires toutes les richesses culturelles et patrimoniales qui participent de l'exceptionnelle attractivité de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
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