Débat sur le thème : « Le partage du travail : un outil pour le plein emploi ? »
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays, au fil de son histoire, s’est honoré de toutes les avancées sociales liées non seulement au temps de travail, mais aussi à l’amélioration des conditions de travail. Ce furent d’abord les 40 heures, grâce au Front populaire, puis les 39 heures, en 1982, enfin les 35 heures obligatoires dans toutes les entreprises, à partir de 2002.
À l’orée d’une élection présidentielle, je tiens à saluer nos collègues du groupe CRCE pour avoir mis ce débat à l’ordre du jour.
Ce sujet mérite selon moi d’être abordé sereinement et sérieusement, loin des clichés nous expliquant que les Français sont plus enclins à favoriser leurs loisirs, qu’ils ne travaillent pas suffisamment en comparaison de leurs homologues européens, loin aussi de l’idée qu’il suffirait d’être volontaire, tout simplement, pour trouver du travail.
« Le partage du temps de travail, un outil pour le plein emploi ? » : la question est de savoir s’il faut travailler moins pour travailler tous.
On pourrait répondre assez aisément que les 35 heures n’ont pas permis de résorber le chômage de masse et que les exonérations concédées à l’époque n’ont pas eu les retombées espérées.
On pourrait également se dire qu’une meilleure répartition du travail permettrait une meilleure répartition des richesses, mais tel ne fut pas le cas en 2002.
Dans un contexte de flambée des prix de l’essence, du gaz et de l’électricité, les Français sont-ils prêts à travailler moins pour gagner moins ? Je ne le pense pas.
L’idée n’est pas de remettre en cause les 35 heures, qui sont un acquis social, mais simplement d’en dresser un constat lucide : si elles ont permis davantage de temps libre, leur effet sur l’emploi et la réduction du chômage fut très limité. Le prisme de la réduction du temps de travail, s’il n’est pas à éliminer, me paraît insuffisant pour réduire le chômage.
L’un des premiers combats à mener consiste à œuvrer pour une meilleure adéquation entre les besoins et l’offre ; c’est à l’école que ce combat se joue, dans la revalorisation des métiers manuels et de l’apprentissage – on le répète à chaque élection, il serait temps de s’y pencher.
Il n’est plus possible de se satisfaire d’une France où le taux de chômage des jeunes avoisine les 20 % et où, en même temps, des commerces ferment, des boulangers et des bouchers recherchent désespérément des apprentis, des emplois restent non pourvus. Oui, il s’agit souvent de métiers difficiles, aux horaires décalés, mais il faut peut-être informer davantage et mieux communiquer sur ces professions de grande qualité.
Un débat sur le travail nous oblige également à réfléchir à ce que celui-ci apporte en fait de relations sociales et d’estime de soi, au-delà de la rémunération.
À cet égard, le combat contre le chômage de longue durée mérite d’être mené tant ledit chômage peut avoir des effets dévastateurs pour les principaux concernés. L’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée », conduite depuis 2016, permet notamment de ramener vers l’emploi les publics qui en sont le plus éloignés, des jeunes, des femmes et des personnes peu diplômées.
Si la crise sanitaire que nous connaissons a perturbé certaines expérimentations, il faut continuer à encourager ces projets qui sont de vrais outils d’insertion sociale.
Le travail doit certes être encouragé : il reste le meilleur moyen de sortir de la précarité. Mais il nous faut également être pragmatiques. Augmentation de la population, constante accélération du progrès technologique, automatisation croissante : le plein emploi n’est-il pas révolu ?
Je ne dis pas qu’il faut encourager de telles évolutions, mais, dans ce contexte, il faut envisager une telle hypothèse et réfléchir à la manière de garantir à tous sinon un emploi, du moins une rémunération décente.
Dire tout cela ne sert à rien si l’on ne prend pas en compte l’évolution du travail ces dernières années. Au premier rang de ces transformations, le télétravail est venu bouleverser les habitudes durant le confinement.
Au-delà même du nombre d’heures de travail, on observe un changement de paradigme : émerge une approche davantage centrée sur le nombre de jours de travail. Certains pays mettent en place la semaine de quatre jours, la Nouvelle-Zélande et l’Islande notamment, où l’on constate des gains de productivité et des progrès en matière de lutte contre l’absentéisme… de quoi nourrir nos réflexions.
Plus largement, un débat sur le travail mériterait également que l’on s’interroge sur la place du salarié dans l’entreprise via la revalorisation de l’intéressement et la hausse de sa participation au sein des conseils d’administration des entreprises.
Nous pourrions aussi faire valoir la notion de bien-être au travail, sujet sur lequel notre collègue Stéphane Artano se penche activement.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si ce débat a le mérite de poser beaucoup de questions, les réponses qui peuvent y être apportées sont nombreuses. Le partage du temps de travail peut certes être une piste à explorer ; reste qu’il ne sera pas la solution unique au problème de la réduction du chômage. (M. Marc Laménie et Mme Marie Mercier applaudissent.)
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