Intervention de Maryse Carrère sur la situation politique
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, mes chers collègues, depuis le second tour des élections législatives, nous sommes face à une situation inédite, sur les plans institutionnel et politique. Le scrutin proportionnel n’aurait pas fait mieux : le fait majoritaire s’est évanoui, pour laisser place à une assemblée tripartite.
Le Nouveau Front populaire est arrivé en tête, mais pas suffisamment pour occuper rapidement le pouvoir. Le groupe Renaissance a chuté, mais d’aucuns diraient qu’il n’a pas baissé suffisamment pour perdre le pouvoir. Quant au RN, il a fortement progressé, mais, heureusement, pas assez pour conquérir le pouvoir.
Pour le moment, faute de majorité claire, c’est la confusion qui prévaut. Depuis lundi, la continuité des services de l’État est assurée par un gouvernement démissionnaire.
En attendant, quelles leçons en tirer ?
La première, c’est que, si l’effet collatéral du front républicain a été la constitution de trois blocs, ce front a avant tout permis d’éviter le pire, à savoir la possible arrivée de l’extrême droite à Matignon – demain, il faudra s’en souvenir. Les membres du groupe RDSE se sont tous mobilisés pour que cela n’arrive pas !
Nous nous réjouissons de la mobilisation de tous ceux qui ont permis à la France de rester fidèle à ses valeurs de solidarité et de fraternité. Dans les moments difficiles, notre démocratie s’est montrée bien vivante.
C’était aussi une nécessité vis-à-vis de l’Union européenne, qui compte toujours sur la France pour jouer un rôle moteur, et réciproquement.
Le second enseignement, c’est que nous gagnerions, en politique, à préférer le temps long à l’immédiateté. L’avenir de notre pays mérite que le temps politique reprenne ses droits sur le temps médiatique.
Il en va un peu ainsi, par la force des choses : au sein du NFP, l’absence de consensus sur le Premier ministre idéal aura eu raison des injonctions adressées par La France insoumise à l’ancienne majorité de quitter le pouvoir dès le lendemain du second tour. Mettre à profit ce temps long sera nécessaire si nous voulons nous départir de tout sectarisme et regarder la réalité en face.
Les trois précédentes dissolutions avaient appris à cohabiter ; aujourd’hui, il s’agit d’apprendre à coaliser. Il est vrai que cela reste un peu étranger à la culture politique française…
Nous, membres du RDSE, savons ce que cela signifie de se retrouver autour de grands projets quand ils nous semblent aller dans le sens de l’intérêt général ou des valeurs républicaines inscrites au cœur de la charte de notre groupe.
Bien entendu, la culture du compromis suppose que soit dépassé le culte du chef, tout comme l’horizon qui l’entretient, celui de l’élection présidentielle, l’un et l’autre peu propices aux accords de gouvernement. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le groupe RDSE a souvent défendu le mandat présidentiel de sept ans non renouvelable.
Dans ce contexte, quelle place le Sénat occupera-t-il ? Dans la perspective d’une activité législative ralentie, notre institution se doit plus que jamais de jouer à plein son rôle de gardienne des institutions, ainsi que de contrôleuse des politiques publiques et de leur évaluation.
Cependant, notre assemblée ne devra pas être à contre-courant des messages envoyés aujourd’hui par la majorité des électeurs. La majorité sénatoriale ne devra pas se perdre dans des mesures sociétales conservatrices, quand il y a tant à faire sur le plan social. Le Sénat devra être ouvert à une fiscalité plus juste et redistributive, ce qui supposera de lever les tabous sur la contribution inéluctable des plus fortunés.
Nous ne pourrons éluder la question de la sécurité, au risque d’abandonner ce domaine à l’extrême droite, sans pour autant traiter la question sous l’angle des discriminations et des atteintes aux libertés publiques. Il nous faudra aussi poursuivre notre travail transpartisan en faveur des collectivités locales, des services publics, de l’école, de la santé et du logement, des sujets sur lesquels nous sommes le plus souvent à l’unisson.
En somme, mes chers collègues, il nous revient de sortir de nos habitudes et de prendre exemple sur nos amis belges, allemands et espagnols, rompus à l’exercice des grandes coalitions.
Le sursaut du second tour nous a accordé un sursis que nous devons mettre à profit, pour que la France renoue avec la promesse républicaine d’une égalité des chances et d’une vie meilleure, où que l’on vive ou d’où que l’on vienne.
Ayons quotidiennement à l’esprit cette responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sonia de La Provôté applaudit également.)
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