Projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation - conclusions CMP
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « Victimes de l’inflation, les Français se nourrissent de moins en moins » : tel était le titre d’un article de Capital paru en août dernier.
Les achats alimentaires des Français ont chuté de 11,4 % en volume entre le dernier trimestre de 2022 et le deuxième trimestre de cette année.
Cette commission mixte paritaire a été conclusive et nous devons nous en réjouir, car le contexte nous oblige à la raison. Quand des Français s’imposent de manger moins, nous devons prendre nos responsabilités.
Les négociations commerciales tendues et l’inflation galopante induisent des efforts communs. Mais les efforts sont-ils réellement communs ? Quelle valeur ont nos débats et nos votes ?
Nous pouvons nous interroger, puisque Bruno Le Maire, ministre de l’économie, annonçait en juin dernier, après une réunion avec les industriels de l’alimentaire que les prix d’une centaine de produits baisseraient dès juillet.
Un mois après, Michel Biero, directeur achats et marketing de Lidl, martelait ne pas croire au « septembre vert », et accusait les grands groupes industriels de ne pas répondre aux demandes de Bercy. Selon ses arguments chiffrés, Lidl, qui travaille avec 58 des 75 multinationales montrées du doigt par le ministère, n’avait avancé dans ses négociations qu’avec deux d’entre elles, pour des baisses de prix proposées à 4 % au maximum.
Depuis quelques semaines, la grande distribution a déjà engagé une baisse des prix des marques de distributeur.
Des débats parlementaires pour un projet de loi qui vise à avancer de six semaines les négociations commerciales, et une commission mixte paritaire conclusive qui fixe le délai au 31 janvier au lieu du 1er mars : cela semble quelque peu dérisoire.
Je le dis et je le répète dans cet hémicycle : c’est le marché qui fera la loi ! Dans une économie libérale, imposer une baisse des prix semble contradictoire. Je m’étonne que des libéraux soutiennent cette méthode, alors que la réalité montre qu’elle est contre-nature.
Je me souviens d’une réunion au Sénat en pleine crise du porc, en 2015, où le représentant de Bigard expliquait qu’un prix minimum imposé ne serait tenable que quelques jours, voire quelques semaines, car la concurrence mondiale fixe les prix et reprend toujours la main.
Bigard et la Cooperl ont décidé de ne pas participer à une réunion destinée à trouver un prix plancher au ministère de l’agriculture. Ces deux principaux abatteurs refusaient, en effet, de payer aux éleveurs le prix préconisé par le Gouvernement de 1,40 euro le kilogramme de porc.
Dans un communiqué de presse, la Cooperl indiquait souhaiter le retour à un prix de marché libre : « S’entendre pour imposer un prix plancher génère un risque perpétuel de revente à perte pour les abatteurs qui, en aval, sont exposés à une concurrence […] pure et parfaite. »
Voilà, madame la ministre, la réalité de notre marché libéral. Toutes les bonnes volontés réunies ne peuvent pas aboutir à une baisse des prix, car nous ne sommes pas seuls. Le problème et les solutions ne sont pas franco-français. Alors, quand toutes les bonnes volontés ne sont pas réunies, on craint le pire.
Dans un contexte de crise sanitaire et de tensions géopolitiques exacerbées, certains ont trouvé un alibi pour augmenter leurs prix. Je l’indiquais déjà lors de l’examen en première lecture de ce projet de loi voilà quelques jours, les deux maillons de la chaîne qui subissent de plein fouet cette inflation sont les agriculteurs et les consommateurs.
À force, les agriculteurs disparaissent et les importations augmentent. Quelques chiffres en témoignent : en 2022, les importations de viande en France ont augmenté de 11,7 % par rapport à l’année antérieure, le bœuf ayant enregistré la hausse record, avec 22,9 %. In fine, la part des importations dans le total de la viande consommée a atteint plus de 30 %.
Ce constat est malheureusement simple à comprendre : les exploitations disparaissent et l’enjeu de la souveraineté alimentaire s’étiole quelque peu. Si les transformateurs et les distributeurs ne font pas l’effort de soutenir nos agriculteurs et nos produits, dont la qualité sanitaire est reconnue mondialement, nos assiettes n’auront plus que des produits importés.
Quelle agriculture voulons-nous ? Et que voulons-nous manger demain ? La problématique est complexe et ne doit pas être un argument politique. Préserver à la fois le pouvoir d’achat des Français et assurer le partage de la valeur afin que, en amont, les agriculteurs bénéficient d’un prix rémunérateur n’est pas facile. Les gouvernements successifs n’ont pas réussi à imaginer des solutions pérennes, même si, reconnaissons-le, les lois Égalim ont amélioré les choses.
Je vous remercie, madame la ministre, de déployer autant d’énergie en ce sens, d’autant qu’à cela s’ajoutent des enjeux de santé publique et de préservation de l’environnement, dans un contexte de réchauffement climatique. D’ailleurs, les États généraux de l’alimentation ne devraient-ils pas réunir à nouveau tous les maillons de la chaîne, afin d’évaluer l’impact des différentes phases des textes Égalim et de savoir qui, parmi les parties prenantes, ne joue pas le jeu ?
Malgré ses réserves, notre groupe votera, sans illusion et sans grande conviction, pour ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
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